Démarche artistique

L’essence de ma démarche en tant que chorégraphe prend racine dans un travail sur la sensation. En tant que créatrice, je m’intéresse à « la qualité, l’énergie du mouvement, plutôt que sa fonction significative ou sa forme » (Després, 2000, p.5). Au sein de mes processus de création, lors des improvisations que je propose, mon attention se porte davantage sur l’expérience phénoménologique du danseur, sur son vécu, et sur les pulsions, vibrations, sensations, perceptions et oscillations qui l’animent, plutôt que sur ses habiletés techniques ou sur sa capacité à exécuter des mouvements définis que je lui aurais précisément transmis. En ce sens, je m’intéresse à suggérer des improvisations dansées qui invitent l’interprète à être attentif, présent et « à l’écoute » des sensations internes qui l’habitent. Le terme « écoute » désigne ici une attention impliquant toutes les facultés sensorielles du corps, une sorte d’éveil conscient à la sensorialité. En ce sens, « l’écoute » dans mon travail n’est pas seulement comprise comme l’ouïe, comme l’organe sensoriel, mais plutôt comme un mode global d’attention qui implique tous les sens (particulièrement l’ouïe, le toucher et la kinesthésie), mettant ainsi en exergue la nature chiasmatique de la sensorialité (Bernard, 2001).

De plus, proposer des explorations qui se déroulent les yeux fermés présente un intérêt grandissant dans ma démarche, cela découlant de mon approfondissement de la pratique du mouvement authentique. Dans cette pratique, la personne qui est en mouvement a toujours les yeux clos et elle est invitée à prendre conscience de ce qui se manifeste dans son inconscient et dans son imaginaire lorsqu’elle se meut. Elle porte également attention au monde sensible qui l’entoure et à la façon dont elle réagit au contact de l’environnement. Dans ma démarche, je cherche ensuite à mettre de l’avant ce type d’attention sensible que l’on désigne comme un « témoin intérieur », et ce, même lorsque les yeux sont ouverts. Mon travail invite donc le danseur à se nourrir de son ressenti, mais également à s’inspirer de l’imaginaire et de ses fictions personnelles. Pour ce faire, je recours aussi à des stratégies telles que des évocations sonores, des métaphores et des images fictives qui servent de source d’inspiration, j’évoque des contraintes qui limitent et orientent les possibilités de mouvement, invitant par le fait même le danseur à faire des choix personnels créatifs, ou je suggère des improvisations avec des objets aux textures variées afin de réinvestir ces textures corporellement, en termes qualitatifs et sonores. 

Bref, pour résumer l’essence de ma démarche en tant que chorégraphe, je peux dire qu’au sein de mes processus de création, je cherche par divers procédés à mettre de l’avant un travail qui allie sensation et imaginaire, afin que l’interprète puisse « vibrer » à travers sa danse et être attentif à sa sensorialité. Les éléments imaginaires proposés en studio participent à développer des qualités de mouvement en fluctuation et à faire émerger « des textures, des résistances, des densités, des rythmes » diversifiés (Perrin, 2007, p.28), différents rapports « aux appuis, aux durées, à la respiration » (p. 29), « des variations de consistance corporelle » (Després, 2000, p.31) et des « vigilances d’espace et de temps » multiples (Danjoux, cité par Perrin, 2007, p.28). Le travail des sensations rejoint pour moi une certaine universalité chez l’être humain; il met de l’avant le vécu, le ressenti et les pulsions, des éléments qui m’apparaissent être communicatifs bien avant les mots.

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[i] Bernard, M. (2001). De la création chorégraphique. Pantin : Centre national de la danse.

Després, A. (2000). Travail des sensations dans la pratique de la danse contemporaine : logique du geste esthétique (thèse de doctorat). Université Paris VIII.

Perrin, J. (2007). Projet de la matière – Odile Duboc. Pantin : Centre national de la danse et Dijon : Les Presses du réel.

 



 
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